ANALYSER LES SITUATIONS D’APPRENTISSAGE
d’Yveline FUMAT, Claude VINCENS, Richard ÉTIENNE (Préface de Philippe PERRENOUD) |
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Philippe Perrenoud nous donne d'emblée l’enjeu de ce livre :
« Travailler, c’est être confronté à des situations. Toujours singulières, même si elles présentent certaines régularités, souvent complexes, appelant parfois des décisions rapides ou risquées. Travailler intelligemment, c’est donc analyser les situations, en particulier lorsque la réponse adéquate ne vient pas immédiatement à l’esprit. Surseoir à toute décision pour comprendre ce qui se joue, identifier les contraintes, les possibilités, les risques de tel ou tel cours de l’action n’est pas, pour un professionnel, un exercice en chambre. Il faut aller vite, saisir l’essentiel, décider avant que la situation ne se soit dégradée. L’analyse de situation n’est pas un exercice de dissertation, c’est le cœur du raisonnement professionnel. Sans un entraînement intensif à l’analyse des situations auxquelles sa pratique le confronte, aucun professionnel n’agira à la fois à bon escient et à temps ». (page 7)
Même si dans notre profession, cette pratique est très peu développée, savoir analyser des situations de travail est une compétence indispensable au professionnel. Celui-ci, même s’il doit parfois prendre des décisions rapides, doit savoir réfléchir dans l’action. Il doit par ailleurs savoir réfléchir sur son action après coup.
Ce petit livre nous propose une réflexion sur l’analyse de la pratique et un dispositif (le GEASE : Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Educatives) flexible et simple qui doit permettre aux enseignants volontaires de se rencontrer et d’échanger. Il donne des dispositions, un cadre souple qui permet de structurer les échanges, de fixer quelques règles du jeu et protéger les participants. Il nous semble que ce dispositif peut aider les enseignants de notre profession à sortir de la solitude dont ceux-ci se plaignent souvent…
Les auteurs rappellent les différents dispositifs d’analyses existants qui ont inspirés leur propre dispositif. Ils présentent ensuite en détail leur mode d’emploi :
- un groupe de 12 à 15 enseignants,
- qui se réunit durant 1h30,
- à 6 reprises,
- les échanges fonctionnant sous l’égide d’un animateur.
Les séances se passent en 4 phases dont le déroulement a une certaine importance pour la viabilité du groupe d’analyse :
1. Un participant évoque une situation dans laquelle il a été fortement impliqué et qu’il a envie de mieux comprendre.
2. Le groupe le questionne.
3. Le groupe propose des interprétations alors que le narrateur ne doit plus intervenir.
4. Le narrateur reprend une dernière fois la parole.
Les auteurs expliquent bien la nécessité de l’adoption de cette structure qui protège le groupe de dérives que nous constatons parfois lors de réunions : dispersions (cette structure permet une certaine efficacité) ; tensions entre les membres du groupe (cette structure permet de ne pas passer du côté du jugement et d’éviter des propos qui pourraient être pris comme des attaques…).
Le livre pose aussi la question des différentes approches adoptées par les participants pour proposer des interprétations :
« La multiréférentialité ne doit pas être confondue avec les différents "points de vue" des participants. Ceux-ci voient la situation en fonction de leur position dans l’institution et de leur engagement dans l’action, de la tâche qu’ils ont à accomplir. Certes, c’est déjà beaucoup de prendre conscience de la réalité de ces points de vue et, par les croisements de parole, de sortir d’une vision unilatérale. Mais il ne faut pas confondre ces "points de vue" avec les différentes perspectives scientifiques, les angles d’attaque. On peut avoir, dans un groupe, différents points de vue (celui du maître, de l’élève, du responsable…) et rester pourtant tous à un seul niveau, à savoir par exemple s’intéresser seulement aux "intentions" des différents acteurs ou ne considérer que les relations deux à deux (père/élève, père/enseignante, etc.). On peut multiplier les relations personnelles sans jamais quitter la perspective des relations personnelles, en affinant seulement ce type de relations. C ‘est bien par une meilleure connaissance de ce que peuvent être les autres angles d’attaque, en comprenant qu’il existe des phénomènes de groupe irréductibles à la relation interpersonnelle ou des "effets de rôles" qui viennent compliquer la simple relation personnelle et que c’est donc par l’introduction d’autres concepts que ceux de la psychologie et un entraînement à la lecture plurielle que l’on pourra élargir les perspectives ». (page 48)
On voit bien au travers de cette réflexion que, même si la réflexion sur l’expérience peut se fonder sur les savoirs de l’expérience ou ceux issus de notre culture professionnelle, la profession des Musiciens Enseignants ne peut se passer des concepts venant des différentes sciences de l’éducation, concepts sans lesquels elle prend le risque de tourner en rond dans sa réflexion. Ils permettent d’élaborer une grille de lecture, d’établir des modèles de compréhension qui permettent aux enseignants de comprendre et d’expliquer les situations pratiques de tous les jours. Les auteurs proposent d’ailleurs deux méthodes, deux "modèles" pour aider les enseignants à percevoir les différents éclairages possibles des situations éducatives.
La notion de "modèle" que nous trouvons de plus en plus dans les ouvrages pédagogiques (par exemple : « méthodes et modèles pédagogiques » de F. Morandi…) est d’ailleurs explicitée dans cet ouvrage :
« Le mot "modèle" n’est pas pris ici au sens prescriptif de donner une norme, une règle à imiter, comme dans "modèle d’excellence, modèle d’écriture, modèle de conduite". Il est pris au sens des recherches en sciences sociales comme résultat d’une modélisation. C’est un schéma, une structure, une grille de lecture qui permet de classer et de relier des phénomènes.
Comme tout modèle scientifique, il s’agit seulement d’un schéma d’explication qui conduit à une meilleure intelligibilité, mais il n’est pas intangible. Son affinement, au contraire, permet une meilleure adaptation au type de situations que l’on abordera ». (page 44)
La dernière partie du livre traite des questions principales que nous pourrions nous poser à propos du GEASE. Par exemple, alors qu’un des participants doit exposer une situation éducative, il n’est pas si simple de définir exactement ce qu’est une situation éducative !… Le narrateur hésite parfois « entre deux trois situations liées, qui n’en sont peut-être qu’une » (101), n’est pas sûr de bien choisir et hésite à partir sur l’une ou l’autre.
« Délimiter une situation est donc théoriquement exclu. Il est légitime pour quiconque n’aime pas marcher en terrain mouvant d’en concevoir quelques inquiétudes ; elles s’estompent en marchant. Ce qui est requis, c’est moins de donner une connaissance parfaite de ce qu’est une situation que de se donner une croyance satisfaisante : toute situation peut soutenir un entraînement à l’analyse ». (page 102)
Car, et c’est un autre questionnement évoqué, l’objet du dispositif ne tient pas dans le fait de trouver "la vraie interprétation", mais dans celui de s’entraîner à l’analyse des situations, d’aiguiser sa perception des enjeux présents…
« Le travail d’analyse du groupe produit-il un discours vrai ? (…) Les hypothèses ne sont ni des propositions que l’on pourra valider dans un dispositif expérimental ni de simples conjectures formulées au gré de l’humeur des participants. Ce sont des propositions de sens, des fragments d’interprétation, des essais d’explication, qui s’appuient néanmoins sur des éléments du récit et sur les attitudes et émotions du narrateur manifestées dans le temps du GEASE. Elles ne pourront jamais être vérifiées, validées ou falsifiées comme le seraient des hypothèses en science expérimentale. Il n’est pas question de "mimer les signes extérieurs" des sciences dures (Bourdieu, 1998). Mais la visée d’objectivation et de compréhension demeure cependant. Tout peut se dire et même doit se dire au conditionnel (…) » (page 112)
Ces remarques nous semblent s’appliquer à toutes les sciences sociales dont l’absence de qualités déductives (tel effet est la conséquence de telle action) est largement compensée par les qualités d’interprétation (herméneutique).
« S’il est donc tout à fait légitime de poser la question : « mais enfin quel est le critère de vérité des hypothèses ? », on doit y répondre de manière double, sur deux plans. Pour le narrateur, les hypothèses sont « reconnues comme vraies » quand elles ont accru sa lucidité, lui ont donné quelques clés pour mieux se comprendre, lui ont permis d’envisager d’autres alternatives, lui ont ouvert des perspectives nouvelles d’action. Pour le travail du groupe, les hypothèses sont meilleures quand elles donnent plus d’intelligibilité à la situation, mais justement sans clôturer le sens, en multipliant les points de vue, en élargissant les perspectives et en traduisant la situation dans des langages différents (…) » (page 114)
Ce livre est un véritable outil afin de mettre en place ces dispositifs d’Entraînement à l’Analyse. Le plus difficile est sans doute de réunir des collègues hors de l’école de musique (puisque ces dispositifs ne peuvent pas fonctionner en présence d’un supérieur hiérarchique, et donc du directeur) et de trouver une personne qui accepte d’en être l’animateur. Le travail d’organisation de ces groupes d’entraînement est intéressant car il nous montre les enjeux qui existent entre collègues et qui risquent de nous bloquer ; il nous montre aussi la variété des approches possibles et nous ouvrent des perspectives… Les auteurs donnent en outre des exemples de situations qui ont été analysées par ces dispositifs et nous permettent de voir ce que peuvent apporter les différentes approches.
Professionnellement, le but de développer notre capacité à comprendre comment nous construisons nos représentations des situations est de bien montrer que nous ne sommes pas des automates, que notre travail, foncièrement humain, ne peut se transformer en une suite automatisée d’opérations stéréotypées. Notre action est de plus en plus symbolique et abstraite. « Elle échappe à une analyse externe mais peut donner lieu à des jugements de pairs ou d’experts qui disent "cela se fait" ou "cela ne se fait pas" mais se défendent de fournir mode d’emploi ou "recette" unique » (page 11)….
Vincent MAGNAN
ESF Editeur, 2003.
Collection Pratiques et enjeux pédagogiques
(dirigée par Michel Develay)
122 pages. Prix éditeur : 14€00
N° ISBN : 2-7101-1621-9
Site de l’éditeur : http://www.esf-editeur.fr
4ème de couverture
ANALYSER LES SITUATIONS D’APPRENTISSAGE
D’Yveline FUMAT, Claude VINCENS,
Richard ÉTIENNE
Ce livre répond à la demande de concret formulée par les professionnels lors de leur formation – initiale ou continue – dans les métiers de l’éducation, du soin, du travail social.
À partir de l’exposé oral de situations éducatives singulières, il propose une démarche qui associe un travail en groupe – soutenu par un cadre rigoureux – et des modèles d’intelligibilité permettant aux participants de comprendre et d’expliquer des situations complexes et difficiles.
En repérant les savoirs implicites – méconnus ou inconscients – mobilisés dans l’action mais aussi en convoquant les concepts savants comme des réponses aux pratiques professionnelles, il cherche à relier les théories aux pratiques et répond au défi de la formation en alternance.
Ce livre concerne tous les métiers de l’éducation et de la formation et même tous les « métiers de l’humain » confrontés à la complexité de situations où interviennent différents partenaires.
Ancienne élève et professeur de l’École normale, agrégée de philosophie, Yveline Fumat a été maître de conférence en philosophie morale et politique à l’université Paul Valéry de Montpellier. Devenue professeur d’université, elle a créé et développé le département des Sciences de l’éducation. Ses recherches sur l’éducation morale et civique ont été complétées par une série d’articles sur la civilité, la socialisation de la petite enfance, et la publication de manuels scolaires d’éducation civique. Elle a dirigé les travaux du groupe de Clapiers, qui a accompagné le développement du GEASE présenté dans cet ouvrage.
Instituteur, psychologue scolaire, formateur et militant pédagogique, Claude Vincens a consacré sa carrière professionnelle à l’aide aux enfants, parents, et aux enseignants en difficulté avec l’école. Ses compétences en entretien et son intérêt pour la formation l’ont conduit vers des interventions sur la compréhension et le développement de la formation à et par l’analyse de situations éducatives, interventions qu’il a inscrites dans une approche scientifique, notamment linguistique et psycho-sociale.
Professeur de lettres, Richard Étienne s’est longtemps investi dans la formation continue puis initiale des personnels de l’Éducation nationale. Enseignant-chercheur à l’université Paul-Valéry, il poursuit ses recherches sur l’enseignement, la formation et l’organisation scolaire au sein de l’équipe des Sciences de l’éducation et consacre ses interventions au niveau national ou international à la mise en œuvre du changement en éducation, ce qui l’a conduit à utiliser et interroger les pratiques émergentes d’analyses de pratiques et leurs applications dans les pays francophones.
Table des matières de ce livre
PREFACE
de Philippe PERRENOUD
INTRODUCTION
1. ANALYSER LES SITUATIONS EDUCATIVES
GEASE : mode d’emploi, le sigle
Les quatre temps d’une séance
Conduire un GEASE
2. LES OUTILS ET ENJEUX DE L’ANALYSE
Développer l’intelligibilité des situations éducatives
Quels modèles multiréférentiels ?
Premier modèle : par niveaux
Deuxième modèle : par gradins
Se former à et par l’analyse de situations
Pendant la séance
Comment situer l’analyse dans la formation
« la discrimination »
« l’exclusion »
3. REPONSES A DOUZE QUESTIONS FREQUEMMENT POSEES
À quoi s’expose-t-on quand on participe à un GEASE ?
Qu’est-ce qu’une situation éducative ?
Comment interroger la mémoire pour enrichir l’analyse ?
Travaille-t-on sur des pratiques ou travaille-t-on sur le langage ?
Le travail du groupe vise-t-il un sens unique ?
Où est la vérité ? Qui a raison ?
Que développe la participation à un groupe d’analyse ?
Comment prendre conscience des habitus ?
Peut-on les changer ?
Quelle participation du GEASE au changement des habitus ?
Comment animer une équipe de formateurs à et par l’analyse de situations ?
L’analyse de situations éducatives favorise-t-elle l’éducation à la démocratie ?
En quoi l’analyse est-elle la marque d’un besoin contemporain ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Mots-clefs
Recherche
Analyse de pratiques
Modèles
multiréférentialité
Formation
Professionnalisation
_
« Travailler, c’est être confronté à des situations. Toujours singulières, même si elles présentent certaines régularités, souvent complexes, appelant parfois des décisions rapides ou risquées. Travailler intelligemment, c’est donc analyser les situations, en particulier lorsque la réponse adéquate ne vient pas immédiatement à l’esprit. Surseoir à toute décision pour comprendre ce qui se joue, identifier les contraintes, les possibilités, les risques de tel ou tel cours de l’action n’est pas, pour un professionnel, un exercice en chambre. Il faut aller vite, saisir l’essentiel, décider avant que la situation ne se soit dégradée. L’analyse de situation n’est pas un exercice de dissertation, c’est le cœur du raisonnement professionnel. Sans un entraînement intensif à l’analyse des situations auxquelles sa pratique le confronte, aucun professionnel n’agira à la fois à bon escient et à temps ». (page 7)
Même si dans notre profession, cette pratique est très peu développée, savoir analyser des situations de travail est une compétence indispensable au professionnel. Celui-ci, même s’il doit parfois prendre des décisions rapides, doit savoir réfléchir dans l’action. Il doit par ailleurs savoir réfléchir sur son action après coup.
Ce petit livre nous propose une réflexion sur l’analyse de la pratique et un dispositif (le GEASE : Groupe d’Entraînement à l’Analyse de Situations Educatives) flexible et simple qui doit permettre aux enseignants volontaires de se rencontrer et d’échanger. Il donne des dispositions, un cadre souple qui permet de structurer les échanges, de fixer quelques règles du jeu et protéger les participants. Il nous semble que ce dispositif peut aider les enseignants de notre profession à sortir de la solitude dont ceux-ci se plaignent souvent…
Les auteurs rappellent les différents dispositifs d’analyses existants qui ont inspirés leur propre dispositif. Ils présentent ensuite en détail leur mode d’emploi :
- un groupe de 12 à 15 enseignants,
- qui se réunit durant 1h30,
- à 6 reprises,
- les échanges fonctionnant sous l’égide d’un animateur.
Les séances se passent en 4 phases dont le déroulement a une certaine importance pour la viabilité du groupe d’analyse :
1. Un participant évoque une situation dans laquelle il a été fortement impliqué et qu’il a envie de mieux comprendre.
2. Le groupe le questionne.
3. Le groupe propose des interprétations alors que le narrateur ne doit plus intervenir.
4. Le narrateur reprend une dernière fois la parole.
Les auteurs expliquent bien la nécessité de l’adoption de cette structure qui protège le groupe de dérives que nous constatons parfois lors de réunions : dispersions (cette structure permet une certaine efficacité) ; tensions entre les membres du groupe (cette structure permet de ne pas passer du côté du jugement et d’éviter des propos qui pourraient être pris comme des attaques…).
Le livre pose aussi la question des différentes approches adoptées par les participants pour proposer des interprétations :
« La multiréférentialité ne doit pas être confondue avec les différents "points de vue" des participants. Ceux-ci voient la situation en fonction de leur position dans l’institution et de leur engagement dans l’action, de la tâche qu’ils ont à accomplir. Certes, c’est déjà beaucoup de prendre conscience de la réalité de ces points de vue et, par les croisements de parole, de sortir d’une vision unilatérale. Mais il ne faut pas confondre ces "points de vue" avec les différentes perspectives scientifiques, les angles d’attaque. On peut avoir, dans un groupe, différents points de vue (celui du maître, de l’élève, du responsable…) et rester pourtant tous à un seul niveau, à savoir par exemple s’intéresser seulement aux "intentions" des différents acteurs ou ne considérer que les relations deux à deux (père/élève, père/enseignante, etc.). On peut multiplier les relations personnelles sans jamais quitter la perspective des relations personnelles, en affinant seulement ce type de relations. C ‘est bien par une meilleure connaissance de ce que peuvent être les autres angles d’attaque, en comprenant qu’il existe des phénomènes de groupe irréductibles à la relation interpersonnelle ou des "effets de rôles" qui viennent compliquer la simple relation personnelle et que c’est donc par l’introduction d’autres concepts que ceux de la psychologie et un entraînement à la lecture plurielle que l’on pourra élargir les perspectives ». (page 48)
On voit bien au travers de cette réflexion que, même si la réflexion sur l’expérience peut se fonder sur les savoirs de l’expérience ou ceux issus de notre culture professionnelle, la profession des Musiciens Enseignants ne peut se passer des concepts venant des différentes sciences de l’éducation, concepts sans lesquels elle prend le risque de tourner en rond dans sa réflexion. Ils permettent d’élaborer une grille de lecture, d’établir des modèles de compréhension qui permettent aux enseignants de comprendre et d’expliquer les situations pratiques de tous les jours. Les auteurs proposent d’ailleurs deux méthodes, deux "modèles" pour aider les enseignants à percevoir les différents éclairages possibles des situations éducatives.
La notion de "modèle" que nous trouvons de plus en plus dans les ouvrages pédagogiques (par exemple : « méthodes et modèles pédagogiques » de F. Morandi…) est d’ailleurs explicitée dans cet ouvrage :
« Le mot "modèle" n’est pas pris ici au sens prescriptif de donner une norme, une règle à imiter, comme dans "modèle d’excellence, modèle d’écriture, modèle de conduite". Il est pris au sens des recherches en sciences sociales comme résultat d’une modélisation. C’est un schéma, une structure, une grille de lecture qui permet de classer et de relier des phénomènes.
Comme tout modèle scientifique, il s’agit seulement d’un schéma d’explication qui conduit à une meilleure intelligibilité, mais il n’est pas intangible. Son affinement, au contraire, permet une meilleure adaptation au type de situations que l’on abordera ». (page 44)
La dernière partie du livre traite des questions principales que nous pourrions nous poser à propos du GEASE. Par exemple, alors qu’un des participants doit exposer une situation éducative, il n’est pas si simple de définir exactement ce qu’est une situation éducative !… Le narrateur hésite parfois « entre deux trois situations liées, qui n’en sont peut-être qu’une » (101), n’est pas sûr de bien choisir et hésite à partir sur l’une ou l’autre.
« Délimiter une situation est donc théoriquement exclu. Il est légitime pour quiconque n’aime pas marcher en terrain mouvant d’en concevoir quelques inquiétudes ; elles s’estompent en marchant. Ce qui est requis, c’est moins de donner une connaissance parfaite de ce qu’est une situation que de se donner une croyance satisfaisante : toute situation peut soutenir un entraînement à l’analyse ». (page 102)
Car, et c’est un autre questionnement évoqué, l’objet du dispositif ne tient pas dans le fait de trouver "la vraie interprétation", mais dans celui de s’entraîner à l’analyse des situations, d’aiguiser sa perception des enjeux présents…
« Le travail d’analyse du groupe produit-il un discours vrai ? (…) Les hypothèses ne sont ni des propositions que l’on pourra valider dans un dispositif expérimental ni de simples conjectures formulées au gré de l’humeur des participants. Ce sont des propositions de sens, des fragments d’interprétation, des essais d’explication, qui s’appuient néanmoins sur des éléments du récit et sur les attitudes et émotions du narrateur manifestées dans le temps du GEASE. Elles ne pourront jamais être vérifiées, validées ou falsifiées comme le seraient des hypothèses en science expérimentale. Il n’est pas question de "mimer les signes extérieurs" des sciences dures (Bourdieu, 1998). Mais la visée d’objectivation et de compréhension demeure cependant. Tout peut se dire et même doit se dire au conditionnel (…) » (page 112)
Ces remarques nous semblent s’appliquer à toutes les sciences sociales dont l’absence de qualités déductives (tel effet est la conséquence de telle action) est largement compensée par les qualités d’interprétation (herméneutique).
« S’il est donc tout à fait légitime de poser la question : « mais enfin quel est le critère de vérité des hypothèses ? », on doit y répondre de manière double, sur deux plans. Pour le narrateur, les hypothèses sont « reconnues comme vraies » quand elles ont accru sa lucidité, lui ont donné quelques clés pour mieux se comprendre, lui ont permis d’envisager d’autres alternatives, lui ont ouvert des perspectives nouvelles d’action. Pour le travail du groupe, les hypothèses sont meilleures quand elles donnent plus d’intelligibilité à la situation, mais justement sans clôturer le sens, en multipliant les points de vue, en élargissant les perspectives et en traduisant la situation dans des langages différents (…) » (page 114)
Ce livre est un véritable outil afin de mettre en place ces dispositifs d’Entraînement à l’Analyse. Le plus difficile est sans doute de réunir des collègues hors de l’école de musique (puisque ces dispositifs ne peuvent pas fonctionner en présence d’un supérieur hiérarchique, et donc du directeur) et de trouver une personne qui accepte d’en être l’animateur. Le travail d’organisation de ces groupes d’entraînement est intéressant car il nous montre les enjeux qui existent entre collègues et qui risquent de nous bloquer ; il nous montre aussi la variété des approches possibles et nous ouvrent des perspectives… Les auteurs donnent en outre des exemples de situations qui ont été analysées par ces dispositifs et nous permettent de voir ce que peuvent apporter les différentes approches.
Professionnellement, le but de développer notre capacité à comprendre comment nous construisons nos représentations des situations est de bien montrer que nous ne sommes pas des automates, que notre travail, foncièrement humain, ne peut se transformer en une suite automatisée d’opérations stéréotypées. Notre action est de plus en plus symbolique et abstraite. « Elle échappe à une analyse externe mais peut donner lieu à des jugements de pairs ou d’experts qui disent "cela se fait" ou "cela ne se fait pas" mais se défendent de fournir mode d’emploi ou "recette" unique » (page 11)….
Vincent MAGNAN
ESF Editeur, 2003.
Collection Pratiques et enjeux pédagogiques
(dirigée par Michel Develay)
122 pages. Prix éditeur : 14€00
N° ISBN : 2-7101-1621-9
Site de l’éditeur : http://www.esf-editeur.fr
4ème de couverture
ANALYSER LES SITUATIONS D’APPRENTISSAGE
D’Yveline FUMAT, Claude VINCENS,
Richard ÉTIENNE
Ce livre répond à la demande de concret formulée par les professionnels lors de leur formation – initiale ou continue – dans les métiers de l’éducation, du soin, du travail social.
À partir de l’exposé oral de situations éducatives singulières, il propose une démarche qui associe un travail en groupe – soutenu par un cadre rigoureux – et des modèles d’intelligibilité permettant aux participants de comprendre et d’expliquer des situations complexes et difficiles.
En repérant les savoirs implicites – méconnus ou inconscients – mobilisés dans l’action mais aussi en convoquant les concepts savants comme des réponses aux pratiques professionnelles, il cherche à relier les théories aux pratiques et répond au défi de la formation en alternance.
Ce livre concerne tous les métiers de l’éducation et de la formation et même tous les « métiers de l’humain » confrontés à la complexité de situations où interviennent différents partenaires.
Ancienne élève et professeur de l’École normale, agrégée de philosophie, Yveline Fumat a été maître de conférence en philosophie morale et politique à l’université Paul Valéry de Montpellier. Devenue professeur d’université, elle a créé et développé le département des Sciences de l’éducation. Ses recherches sur l’éducation morale et civique ont été complétées par une série d’articles sur la civilité, la socialisation de la petite enfance, et la publication de manuels scolaires d’éducation civique. Elle a dirigé les travaux du groupe de Clapiers, qui a accompagné le développement du GEASE présenté dans cet ouvrage.
Instituteur, psychologue scolaire, formateur et militant pédagogique, Claude Vincens a consacré sa carrière professionnelle à l’aide aux enfants, parents, et aux enseignants en difficulté avec l’école. Ses compétences en entretien et son intérêt pour la formation l’ont conduit vers des interventions sur la compréhension et le développement de la formation à et par l’analyse de situations éducatives, interventions qu’il a inscrites dans une approche scientifique, notamment linguistique et psycho-sociale.
Professeur de lettres, Richard Étienne s’est longtemps investi dans la formation continue puis initiale des personnels de l’Éducation nationale. Enseignant-chercheur à l’université Paul-Valéry, il poursuit ses recherches sur l’enseignement, la formation et l’organisation scolaire au sein de l’équipe des Sciences de l’éducation et consacre ses interventions au niveau national ou international à la mise en œuvre du changement en éducation, ce qui l’a conduit à utiliser et interroger les pratiques émergentes d’analyses de pratiques et leurs applications dans les pays francophones.
Table des matières de ce livre
PREFACE
de Philippe PERRENOUD
INTRODUCTION
1. ANALYSER LES SITUATIONS EDUCATIVES
GEASE : mode d’emploi, le sigle
Les quatre temps d’une séance
Conduire un GEASE
2. LES OUTILS ET ENJEUX DE L’ANALYSE
Développer l’intelligibilité des situations éducatives
Quels modèles multiréférentiels ?
Premier modèle : par niveaux
Deuxième modèle : par gradins
Se former à et par l’analyse de situations
Pendant la séance
Comment situer l’analyse dans la formation
« la discrimination »
« l’exclusion »
3. REPONSES A DOUZE QUESTIONS FREQUEMMENT POSEES
À quoi s’expose-t-on quand on participe à un GEASE ?
Qu’est-ce qu’une situation éducative ?
Comment interroger la mémoire pour enrichir l’analyse ?
Travaille-t-on sur des pratiques ou travaille-t-on sur le langage ?
Le travail du groupe vise-t-il un sens unique ?
Où est la vérité ? Qui a raison ?
Que développe la participation à un groupe d’analyse ?
Comment prendre conscience des habitus ?
Peut-on les changer ?
Quelle participation du GEASE au changement des habitus ?
Comment animer une équipe de formateurs à et par l’analyse de situations ?
L’analyse de situations éducatives favorise-t-elle l’éducation à la démocratie ?
En quoi l’analyse est-elle la marque d’un besoin contemporain ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Mots-clefs
Recherche
Analyse de pratiques
Modèles
multiréférentialité
Formation
Professionnalisation
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